J.C. Cinel – Where The River Ends (2024)

Titres :

01. City Lights

02. Oblivion

03. Feel Like Prisoners

04. Mindmaze/Red-Handed

05. Asylum 22

06. Burning Flame

07. How Far We Shine

08. Karakal (Lost In Shangri La)

09. Strangers

10. Thank God I Was Alone

11. Which Side Are You

12. Where The River Ends

Musiciens :

J.C. Cinel – voix principale et chœurs, guitare solo et rythmique, guitare acoustique, dobro et harmonica

Davide Dabusti – guitare solo et rythmique, chœurs

Andrea Toninelli – guitare solo et rythmique

Daniele Tosca – basse

Marco Lazzarini – batterie

Marcello Baio – batterie sur “Where the river ends”, “Strangers” et “Thanks God I was alone”

Roberto Tassone – batterie sur “How far we shine”

Paolo “Apollo” Negri – Hammond, Fender Rhodes et Moog

Gianni Grecchi – basse sur “City lights”

Quel album !

De manière un peu inattendue, je dois dire avoir été un peu surpris quand même, J.C. Cinel frappe un très grand coup pour son retour, de longues années après « The light of a new sun » (2011). J’avais eu le bonheur de chroniquer dans ces colonnes son très bel album de 2007 (déjà !), « Before My Eyes », au caractère complètement différent. Mais que dire de ce splendide manifeste de l’amour que l’artiste porte à la musique ? Douze titres originaux et racés, enregistrés pendant une longue période de six ans, qui procurent un véritable plaisir toujours renouvelé à l’écoute, tellement l’artiste y a mis un foisonnement d’idées et d’énergie, maîtrisant avec talent pour le plus grand plaisir de nos oreilles une formidable complexité structurelle qui n’exclut ni la mélodie ni la puissance, ni la fluidité. Cet album aux titres protéiformes nous transporte, passant d’un climat à l’autre, d’un tempo à l’autre (remarquable travail rythmique de tout le groupe) : chaque morceau évolue de façon permanente, parfois déstabilisante, commence d'une certaine manière et se développe dans des directions inattendues, le tout parfaitement produit par J.C. lui-même.
Un vrai délice !

Des impressions, des grands mots, me direz-vous, mais qu’avons-nous à l’intérieur de la boîte ?
D’entrée, le groupe nous plonge avec « City Lights » dans un univers élaboré mais très hard-rock : gros son, riff solide, toujours cette voix claire et bien posée de J.C., tous les ingrédients sont là, mais avec le bonus de cet énorme travail rythmique, loin des productions monolithiques de quelques bûcherons, et une collaboration formidable au sein du groupe avec des duels de guitares très sudistes préparant la mise sur orbite du Hammond enflammé de Paolo "Apollo" Negri, ex-Wicked Minds, l’ancien groupe de J.C. Cinel. On pense changer d’atmosphère avec « Oblivion », à cause d’une intro plus calme soutenue par une guitare funky. Très vite arrive un riff agressif, pendant que le batteur martèle sur un titre finalement bien hard-rock qui se dresse et siffle comme un cobra furieux. Le clin d’œil à Led Zeppelin introduit un break chargé de faire place nette à un orgue très Purple et aux soli de guitare qui se répondent au quart de tour, ça pulse d’enfer pour l’embrasement final dans une coda jouissive à deux guitares solistes. Et ça continue avec le riff nerveux de « Feel Like Prisoners » toujours appuyé sur cette rythmique infernale, les guitares partent en harmonie dans un morceau qui ne déparerait pas le répertoire de Wishbone Ash. Une pièce majeure et variée, remplie d’idées, de bonnes idées, habillées par un gros son fourni par des guitares métalliques. On en redemande.

Après cette impétueuse trilogie d’entrée en matière, l’intro de « Mindmaze/Red-Handed » permet aux guitares acoustiques de pointer le bout de leur nez, apparent moment de quiétude. Les électriques arrivent pour stabiliser un rythme ternaire dans une ambiance très 70’s, pour un morceau atmosphérique et classieux qui rappelle, en particulier au niveau des vocaux, certains titres d’« Animals », l’album de 1977 de Pink Floyd, avant de s’énerver peu à peu, notre semi-ballade acquérant une solidité croissante dans la partie « Red-Handed ».

Nouveau changement de climat lorsque débute « Asylum 22 » : l’intro débute sur l’harmonica de J.C., sur lequel enchaîne une slide-guitare bien bluesy : on se rapproche d’un blues-rock plus traditionnel, mais qui garde son originalité grâce à sa construction qui voit se succéder galops instrumentaux et moments plus posés dédiés au chant. Rien d’ennuyeux, au contraire : voilà qui fera un excellent morceau de scène, d’autant que de soudainement des guitares-carillons précèdent une envolée guitaristique pendant laquelle intervient un harmonica opportunément de retour. Du grand art ! On en a encore les oreilles bien remplies quand retentit le Dobro de l’intro orientalisante de « Burning Flame », qui s’oriente ensuite vers des rythmes africains, puis sur huit minutes au cours desquelles l’art de la composition de J.C. s'exprime, avec des changements de tempo et des moments psychédéliques, tout une suite articulée, bâtie autour d’une phrase musicale lancinante. Le titre paraît loin d’être aussi long que ce que le chronométrage indique, preuve qu’on ne s’ennuie pas, et oscille entre hard rock et couleurs musicales de diverses nuances, osant en fait des territoires presque progressifs.

« How Far We Shine » commence par un caractère détendu puis connaît un crescendo qui nous ramène sur des morceaux durs et pourrait faire penser qu’on se dirige vers un hard-rock classique, mais évolue ensuite vers une ballade puissante flirtant avec certains aspects du rock progressif avec à nouveau quelques changements d’atmosphères, le riff d’intro revenant entre deux parties chantées. C’est le moment choisi pour J.C. pour installer une courte pause instrumentale, « Karakal (lost in Shangri-la) », dédiée à Jimmy Page, charmant moment acoustique de style oriental, avec bourdon bien présent, bien dans l’esprit du Maître.

On repart avec « Strangers », qui démarre comme un OVNI halluciné et mélodique, presque romantique, puis vire à la pièce instrumentale rythmée avec, entre deux solides parties de guitare, cette rareté qu’est devenu le solo de synthé, ici très réussi, avant une reprise vocale aux splendides harmonies et un retour au tempo d’origine, le tout s’enchaînant parfaitement. Quel boulot ! Et nous arrivons au duo de morceaux qui devraient cartonner sur scène : tout d’abord « Thank God I Was Alone », rock bien envoyé tutoyant le hard-blues, au riff saupoudré de slide, qui sent bon les grands moments sudistes avec sa succession de soli de guitare aux doigts, d’harmonica et de slide. Juste parfait ! Puis surgit « Which Side Are You », hard-rock puissant et accrocheur, très 70’s, un véritable super morceau de scène, qui vient admirablement compléter le tableau avant l’accomplissement final : « Where The River Ends », un morceau long et complexe qui résume tout ce qui a été dit jusqu'à présent, grand final garanti de près de huit minutes au total dans lequel se succèdent des instants acoustiques, d'autres plus crades et survoltés, avec un triptyque de solos impliquant les trois guitaristes de l’équipe, une fin vraiment appropriée pour une œuvre extrêmement inspirée.

Sur les douze chansons, pas un seul passage faible, et l’ensemble dessine un merveilleux album, punchy et sans accroc, qui s'écoute en continu, révélant à chaque passage sur la platine quelque chose de nouveau et d'enchanteur dans une multiplicité de nuances kaléidoscopiques. Nul doute qu’il y a cinquante ans cet album aurait été accueilli avec enthousiasme par la presse comme une œuvre majeure de la musique rock, un de ces albums emblématiques dont on parlait avec passion dans les chambres et dans les cours de lycée entre potes piquousés à la musique. Aujourd’hui, dans un monde où les daubes envahissent le marché, un album si esthétique et tellement bien conçu et arrangé, branché sur du haut voltage et foisonnant de trouvailles comme celui-ci, doit miraculeusement obtenir la visibilité qu’il mérite. En attendant un miracle, je crois que quiconque aime le hard rock des années 70, et plus globalement l’univers musical qui s’y rapporte, y compris teinté de rock progressif, devrait se l'approprier et le diffuser avec enthousiasme. Alors amis lecteurs, rendez justice à cette œuvre formidable et achetez-la, écoutez-la, diffusez-là, parlez en : cet album si original, si musical et si varié doit désormais faire partie des références de notre époque pour tout rocker qui se respecte.

Y. Philippot-Degand